Pour aller plus loin sur CARISMEAU

Mieux connaître les eaux souterraines avec CARISMEAU

Le projet de recherche CARISMEAU, mené par le BRGM et l’agence de l’eau Adour-Garonne, permet de caractériser les différentes masses d’eau souterraine profondes de l’Éocène du bassin Adour-Garonne par l’application combinée d’analyses géochimiques des eaux et de méthodes isotopiques (usuelles, novatrices ou potentielles) en termes de connaissance patrimoniale, d’hétérogénéités à l’intérieur d’une masse d’eau et d’interconnexions entre les aquifères.

Les masses d’eau, des unités dévaluation et de surveillance assorties d’objectifs de gestion

La compréhension des milieux naturels et de leur variabilité dépend des progrès de la mesure de paramètres caractéristiques qui permettent une meilleure approche de l’hétérogénéité de ces milieux et de leurs interconnections.

Nouveau concept de gestion des eaux à l’échelle européenne, la Directive cadre européenne sur l’eau (DCE) définit un objectif communautaire pour la protection des eaux intérieures de surface, de transition, côtières et souterraines, en vue de :

  • prévenir et de réduire leur pollution ;
  • promouvoir leur utilisation durable ;
  • protéger leur environnement ;
  • améliorer l’état des écosystèmes aquatiques ;
  • atténuer les effets des inondations et des sécheresses.

La DCE définit un référentiel commun pour l’évaluation et la surveillance de l’état des ressources en eau. Ce référentiel repose sur la notion de masses d’eau, définie comme un volume distinct d’eau souterraine à l’intérieur d’un ou plusieurs aquifères. L’aquifère est défini comme une ou plusieurs couches souterraines ou autres couches géologiques d’une porosité et de perméabilité suffisante pour permettre soit un écoulement significatif d’eau souterraine, soit le captage de quantités importantes d’eau souterraine (article 2 de la DCE).

Les masses d’eau sont le support des plans de gestion. Pour cibler cette gestion, il est nécessaire de définir des critères de référence, aussi bien sur la qualité des eaux que sur l’état volumique des nappes ou des masses d’eau. Les objectifs environnementaux à atteindre et fixés par la directive intègrent notamment le bon état quantitatif et chimique des masses d’eau souterraine. La DCE fixe ainsi un objectif de « bon état » des milieux aquatiques à l’horizon 2015, et ceci avec obligation de résultats.

Améliorer la connaissance des aquifères avec CARISMEAU

L’objectif du projet CARISMEAU est de caractériser les différentes masses d’eau souterraine profondes des aquifères situés dans les couches géologiques d’âge Eocène du district Adour-Garonne, en termes de connaissance des hétérogénéités et des interconnexions entre les aquifères. Cette approche est incontournable pour la gestion des aquifères telle que la DCE le prévoit.

La caractérisation détaillée nécessite d’identifier la stratification de l’eau souterraine au sein de la masse et la composition chimique et isotopique des eaux souterraines. La masse d’eau ciblée dans cette étape du projet est celle du système des sables Eocène constituant une série d’aquifères majeurs : Paléocène, sables infra-molassiques Eocène, Eocène inférieur, Eocène moyen, Eocène supérieur dont l’emplacement des points prélevés est indiqué sur la figure ci-dessous.

Localisation de la zone d’étude du projet CARISMEAU

Les isotopes pour gérer, protéger et préserver les ressources en eau

Les traceurs géochimiques permettent d’identifier les sources de matière, les conditions et des processus de leur formation ou transformation, de quantifier des flux, d’estimer des processus de transfert des éléments entre différents réservoirs ainsi que d’identifier des sources des éléments d’origine naturelle ou anthropique.

Ces traceurs géochimiques sont sélectionnés pour leurs caractères spécifiques et le but de leur utilisation est d’intégrer l’ensemble des données dans un modèle hydrochimique destiné à déterminer les flux d’eau, les flux de matière (taux d’érosion, bilans de transfert…) dans les différents compartiments du bassin.

Les circulations et les interactions des eaux, qu’elles soient de surface ou souterraines, avec les roches encaissantes, sont de plus en plus renseignées par l’utilisation de la géochimie et tout particulièrement par l’application des traçages isotopiques. Ces traçages permettent, entre autres, de définir pour chacun des systèmes étudiés, l’origine naturelle ou anthropique des éléments chimiques, leurs comportements, leur transport dans des compartiments différents (par exemple, forme dissoute et/ou particulaire pour les fleuves), des schémas de circulation des eaux et fluides profonds et les interactions entre les eaux et les différents types de roches encaissantes.

L’utilisation des traceurs

Le projet CARISMEAU s’appuie ainsi fortement sur l’annexe II de la DCE. La caractérisation détaillée requise met tout particulièrement en avant, entre autres, le besoin de connaître les caractéristiques de stratification de l’eau souterraine au sein de la masse et de la composition chimique des eaux souterraines, y compris les contributions découlant des activités humaines. Dans le cadre de ce projet, différentes approches ont été appliquées :

  • les outils isotopiques dits usuels (isotopes de l’oxygène et de l’hydrogène, isotopes du soufre et de l’oxygène des sulfates) ;
  • les outils isotopiques novateurs (isotopes du strontium, de l’uranium et du thorium) ;
  • les outils isotopiques potentiels (isotopes du bore et lithium) qui constituent un moyen d’améliorer grandement les connaissances des masses d’eau.

Les isotopes s’interprètent en premier lieu en corrélant les rapports isotopiques mettant en jeu les éléments chimiques liés au sein d’une même molécule comme par exemple 18O et 2H de l’eau. Pour les isotopes des ions simples (B, Sr, Li…), un premier élément d’interprétation consiste à corréler les variations isotopiques avec les variations de la concentration de l’élément. Ainsi, le rapport 87Sr/ 86Sr du strontium est corrélé avec la teneur de cet élément. La détermination des pôles purs est nécessaire afin d’interpréter les données et ainsi de caractériser les différentes masses d’eau par rapport aux encaissants et aux différents processus (mélange, fractionnement isotopique…). Ainsi, au sein d’une même masse d’eau, on peut déterminer les hétérogénéités et, en comparaison avec les autres masses d’eau on peut étudier les connexions potentielles (drainance, mélange…).

Les traceurs isotopiques retenus pour cette étude associent des traceurs d’interaction eau-roche, de mélange, d’origine des eaux, de processus…, chaque traceur couvrant une ou plusieurs de ces caractéristiques. C’est l’association de ces outils avec leurs propriétés respectives qui permet d’améliorer la connaissance de ces grands systèmes aquifères.

Les résultats présentés ci-après sont issus des fiches de synthèse des outils isotopiques disponibles sur le site du projet CARISMEAU et correspondent aux isotopes stables de l’eau, aux isotopes des sulfates dissous, et aux isotopes du strontium. Ces résultats sont issus, pour la plupart, des programmes de recherche du BRGM menés depuis plusieurs années.

Connaître l’âge des eaux souterraines

En l’absence d’évaporation ou d’échange avec des gaz dissous, les isotopes stables de la molécule d’eau se comportent comme des traceurs conservatifs et reflètent le mélange des différentes recharges ayant alimenté les eaux souterraines considérées. L’histoire d’un aquifère peut donc être reconstituée par l’abondance de ces isotopes. L’approche par les isotopes stables permet de mettre en évidence que les différents niveaux aquifères du bassin Adour-Garonne se sont rechargés à des époques différentes, allant de l’actuel (partie nord de la zone d’étude avec EM1, EM2, ES3, figure 1), à des périodes beaucoup plus anciennes, de l’ordre de 16 à 35 000 ans, sous un régime climatique plus froid que l’actuel correspondant à la dernière période glaciaire (Würm). Ces résultats peuvent s’inclure dans la stratégie de gestion des ressources en eau de la région. En particulier, l’aquifère des sables infra-molassiques dont la ressource est très largement utilisée, et qui présente en différentes localisations des eaux très anciennes, que l’on peut qualifier de « fossiles » et dont on connaît mal le taux de renouvellement.

Origine et alimentation des eaux souterraines

L’approche isotopique a permis de clairement identifier les sources de sulfates dissous pour les niveaux aquifères considérés, à savoir l’oxydation de sulfures sédimentaires et la dissolution d’évaporites. Un fractionnement isotopique des sulfates par réduction bactérienne a été également mis en évidence pour l’aquifère des sables infra-molassique. Ce processus de réduction bactérienne s’accentue en suivant les lignes d’écoulement de l’aquifère des sables infra-molassique, ce qui montre un important contrôle de l’hydrogéologie sur la composition géochimique des eaux souterraines. Les disparités spatiales de compositions isotopiques des sulfates dissous entre les différents niveaux aquifères et au sein d’un même aquifère sont discutées à la lumière des disparités des faciès lithologiques dans les formations géologiques considérées. Le contrôle important de la dissolution d’évaporites (à la fois sous forme de halite, de gypse et d’anhydrite) a été mis en évidence sur 3 domaines principaux du bassin Adour-Garonne :

  • au sud-est du bassin dans la région de Toulouse ;
  • au sud-ouest du bassin dans la région de Dax ;
  • au nord-ouest du bassin dans la région de Bordeaux.

Ce résultat est en accord avec la répartition des niveaux évaporitiques et des dômes de sels documentés pour le bassin sédimentaire aquitain. Le contrôle de l’altération de roches silicatées et de roches carbonatées sur la géochimie des eaux souterraines a également été mis en évidence. Ces processus aboutissent, de la même manière que pour les roches évaporitiques, à des disparités spatiales de composition géochimique au sein d’un aquifère. L’oxydation de sulfures (qu’ils proviennent des roches silicatées ou des roches carbonatées) constitue une source de sulfates dissous prépondérante dans les zones de recharge de l’aquifère des sables infra-molassique et au sud et sud-est de Bergerac pour l’aquifère de l’Eocène moyen. Tous ces résultats viennent donc en appui de la stratégie de gestion des ressources en eau de la zone d’étude.

Quelles interconnexions entre les aquifères ?

Le rapport isotopique du strontium d’un fluide est directement relié à celui du minéral ou à des associations minéralogiques avec lesquelles il a interagi. Dans le cas des roches évaporitiques et carbonatées, l’absence du rubidium (exclu lors des phases de précipitation des sels ou de la calcite) implique l’enregistrement de la valeur de l’eau où a eu lieu la précipitation et l’absence d’évolution au cours du temps (pas de décroissance radioactive). Dans le cas de l’interaction entre eau et roches évaporitiques et carbonatées, le rapport isotopique du strontium est un enregistrement fidèle de celui de l’eau de mer de l’époque du dépôt (Faure, 1986).

Le diagramme classique de mélange entre les rapports isotopiques strontium et l’inverse de la concentration en Sr met en évidence l’existence d’au moins 3 pôles de mélange, les lignes les joignant sont des droites de mélange binaire (figure ci-dessous).

Le pôle 1 représente l’altération des roches évaporitiques, avec de fortes concentrations en strontium et un rapport reflétant celui de l’eau de mer à l’époque du dépôt de ces formations.

Le pôle 2 correspond à l’altération de carbonates avec cependant une concentration en strontium faible. Ce pôle, matérialisé par des échantillons localisés au nord de la zone (proches de l’estuaire de la Gironde), ne représente pas les carbonates Eocène mais l’effet de la surexploitation de l’aquifère Eocène qui induit une drainance verticale depuis l’aquifère sus-jacent Miocène.

Le pôle 3 avec des valeurs élevées est représenté par des échantillons localisés sur les bordures des Pyrénées et du Massif central.

Variations des rapports 87Sr/86Sr en fonction de l’inverse des teneurs en strontium des eaux souterraines du projet CARISMEAU

Les isotopes du strontium montrent l’hétérogénéité lithologique à l’échelle de la zone d’étude avec des rapports élevés dans les zones de bordure (zone de recharge). Ces rapports sont liés à l’interaction avec des roches silicatées. Cette systématique isotopique met aussi en évidence le rôle joué par les aquifères sus-jacent, qui répondent dynamiquement à la forte sollicitation de l’aquifère des sables infra-molassique.

Les avancées technologiques des dernières années dans le domaine de la mesure des isotopes ont ouvert la voie à de multiples applications de ces outils dans le cycle de l’eau. De nouveaux outils isotopiques (Li, Cd, Zn…), de nouvelles applications d’outils « classiques », en particulier l’approche multi-isotopique se développent de plus en plus. Cette approche multi-outils permet de réduire les hypothèses de fonctionnement des systèmes et donc de mieux contraindre les décisions de gestion des ressources en eau.

Toutefois, cette approche couplée « outils isotopiques – gestion des ressources » doit être encore plus poussée afin d’arriver à considérer les isotopes et leurs applications en termes d’outils de gestion et pas uniquement de connaissance des systèmes.

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